Philosophie de la raison
11 décembre 2002

Le nouveau monde. L'Art et la Raison


L'expo de Jean NOUVEL au centre Pompidou.
Deux aspects ; l'un cohérent au sens originel du mot " art " c'est à dire " métier " " science ", est le génie de la compréhension et de l'analyse des réalités et des nécessités ; l'autre, le côté plus obscur cohérent avec le sens actuellement admis --" qui crée des œuvres émotionnelles esthétiques sensibles "-- amène une dérive du discours…
Aujourd'hui la technique ne nous étonne plus. Ce qui nous émerveille est de pouvoir faire ce que l'on veut…Retour à la magie ?
L'exposition de l'architecte de renommée mondiale Jean NOUVEL se tient au sixième étage du centre Georges Pompidou du 6/12/2001 au 4/3/2002. Cette imposante manifestation à grand renfort d'intervention informatique sur les images semble être à la mesure de sa production impressionnante au travers le monde. Œuvre d'un grand artiste.
Mais ce qui m'a intéressé est autre chose que cet aspect démesuré renforcé par l'utilisation outrancière de moyens techniques qui donnent cette impression que tout est fait pour en mettre " plein la vue ", (condition nécessaire pour accéder à toute notoriété dans une société de plus en plus fondée sur la futilité, la recherche du paraître plutôt que sur la recherche de la compréhension des choses...) est cohérent au sens originel du mot " art " qui signifie " science, savoir " c'est-à-dire de " métier " ou "technique" ou encore de "savoir-faire" : Ainsi la chose la plus marquante que mon œil d'amateur a retenu est qu'il ne se contente pas de "pondre" partout et dans n'importe quel contexte des constructions avec un style qui lui serait propre. Il adapte au contraire avec génie ses réalisations en fonction du contexte et de l'utilisation, résultat, probablement, d'une analyse excessivement réaliste de chaque situation et des exigences fonctionnelles.
Ainsi par exemple ce musée de Tokyo constituant un relief recouvert de végétation (l'argument justifiant cette démarche dans un environnement hyper urbanisé ; "ici la contextualité est dans la différence"), cet ensemble de bureaux à Guadalajara au Mexique " atomisé " sous une structure métallique suspendue permettant probablement de couper les rayons du soleil, ensemble s'inscrivant dans la continuité de l'urbanisme de l'endroit, ou encore ce bâtiment de recherche scientifique à Pittsburg ; l'ancien n'étant pas " suffisamment valorisant et identitaire " le nouveau est une construction (" pour permettre une meilleure lisibilité du site ") résolument en opposition avec l'environnement etc...

Mais j'ai l'impression que le côté "maximum d'opérations vitrines", c'est-à-dire "plein la vue", participe plus à cette notoriété mondiale que l'art de créer des constructions en intelligence avec les situations. Cela confirmerait que l'immense majorité d'entre nous est particulièrement sensible au côté superficiel et séducteur des choses... Ainsi également, et d'une manière très générale, qu'aux discours peu clairs voir mystificateurs.

Parmi les interviews retransmises en boucle à l'extérieur de l'expo celle intitulée "dématérialisation de la réalité virtuelle" quelque chose me paraît s'inscrire dans ce côté plus obscur, comme un dérapage au niveau du discours résultant peut-être précisément de cette part "artiste" … Le mot étant pris cette fois à son sens actuel c'est à dire "qui crée des œuvres émotionnelles esthétiques sensibles" ; les actes et paroles étant l'expression du "ressenti".

Dans cette interview entre autre cette redoutable phrase :
... l'intégration de la technique n'est plus aujourd'hui aussi expressive qu'avant parce qu'on est plus sous le coup de l'émerveillement de la découverte de ces techniques et ce qui nous émerveille le plus c'est de voir la disparition complète de ces techniques mais de voir qu'on a quand même le résultat... On peut arriver à créer des choses complexes sans voir comment ça se passe...

Ce qui est dit ici me paraît s'inscrire dans, et justifier, un état d'esprit caractéristique d'aujourd'hui : Le retour à la croyance en une certaine magie. Plus personne ne s'étonne rien et l'on croit qu'il suffit d'appuyer sur des boutons pour que tout se fasse comme on veut. Les appareils photos d'aujourd'hui réfléchissent à la place de l'utilisateur, mesurent de la lumière renvoyée par le sujet analysent et règlent en conséquence de cela ainsi que d'autres paramètres les couples diaphragme/vitesses... Également rien de plus naturel pour joindre quelqu'un même situé à 2 ou 300 km de nous que de prendre son mobile qui n'est "vraiment pas grand-chose" puisqu'il ne coûte que quelques euros ! Et aussi les processeurs de un ou plusieurs GHz dans la micro-informatique d'aujourd'hui n'étonnent plus personne. Et je pense que peu doivent avoir la curiosité de connaître le fonctionnement de tout cela. Le micro-ordinateur comme le mobile est le produit de l'intelligence humaine ou plus précisément, le résultat d'une somme d'intelligences, comme probablement les pyramides égyptiennes étaient le résultat de l'ingéniosité et de l'addition du travail de milliers de personnes. Mais l'intelligence et le génie sont totalement banalisés aujourd'hui... Ou plutôt peut-être les voit-on ailleurs que là où ils sont. Plus besoin aujourd'hui de booster sa "comprenette" en cherchant à comprendre le fonctionnement des choses, c'est-à-dire en fait les choses elles-mêmes... Magique ! Le monde est magique ! Nous n'avons plus besoin que de faire joujou… Ou passer à un niveau supérieur ?
Je doute fortement de ce niveau supérieur si les esprits ne sont pas structurés de manière cohérente au fonctionnement du réel. Et précisément je pense que nous amorçons probablement une grande descente appelée régression...
Mais ne craignons rien ! Nous ne reviendrons pas au temps des cavernes et vêtus de peaux de bête, puisque nous avons le Savoir et la Technique. Oui mais! Si cette tendance de l'"évolution" des esprits perdure, amenant en fait leur déstructuration, nous devons nous attendre à un plus en plus grand manque de bon sens généralisé ne pouvant que mener à des situations les plus aberrantes, une plus en plus grande difficulté de maîtrise des choses malgré la technologie, une augmentation des incompétences et du nombre des catastrophes humaines et matérielles.
L'incapacité de comprendre et d'analyser ne peut que nous amener à faire de grosses bêtises ; car nous avons entre nos mains des joujoux de grandes personnes qui nécessiteraient que nous ayons un minimum de maturité : Le nucléaire, les armes bactériologiques, la possibilité de maîtrise de la génétique etc.

... Alors l'Art (au sens actuel du terme) c'est bien, c'est pour notre plaisir, mais il ne faut peut-être pas le placer au-dessus de tout ! Et la Raison dans tout ça!

GG

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