Philosophie de la raison
10 septembre 2006 - Modifié le 12/11/2006 et le 28/12/2008

L'Intelligence

Textes connexes >>

Confusions et détournements

Comme bien des mots celui d' « intelligence » est utilisé non en connaissance exacte de son sens mais selon une « connaissance » que chacun se fait intuitivement et/ou empiriquement selon l'usage. Beaucoup le confondent avec le fait d'avoir de la mémoire. Aujourd'hui et à mon sens fait d'une démarche intentionnelle, on l'amalgame avec d'autres concepts en relation avec l'émotionnel. Mais tout d'abord...

Qu'est-ce que l'« Intelligence » ?

Dans le Petit Robert nous lisons entre autres qu'il s'agit de […] L’ensemble des fonctions mentales ayant pour objet la connaissance conceptuelle et rationnelle (opposé à sensation et à intuition) […]. Dans le TLFI :[…] Fonction mentale d'organisation du réel en pensées chez l'être humain, en actes chez l'être humain et l'animal. […] Dans le Dictionnaire Encyclopédique Alpha (1996): […] Faculté de comprendre, de découvrir des relations (de causalité, d'identité, etc.) entre les faits et les choses. […] Enfin et selon le dictionnaire étymologique Larousse « intelligent » viendrait du latin intelligens, participe présent de intelligere, comprendre.
L'« intelligence » est donc principalement et en résumé la faculté de comprendre. Cette capacité revient à celle de se rendre compte de la réalité en général: saisir les fonctionnements et les relations entre les choses, répondre aux «pourquoi » et aux « comment ». Et c’est donc pour cela, également la faculté de raisonner, de réfléchir.
Mais elle est également ce qu'elle permet: la faculté d'adaptation ([…] adaptation réfléchie de moyens à des fins, […] -- Dictionnaire Encyclopédique Alpha), la capacité d'agir de manière adaptée aux situations. Cela constitue ce que l'on nomme l'« intelligence pratique ». Il y a aussi le concept d'« intelligence conceptuelle » s'exerçant grâce au langage: […] Cette intelligence peut être définie brièvement comme une application et une adaptation de notions abstraites et générales aux choses et aux événements […] -- TLFI.
Mais ces « extension de sens », ces sens « dérivés », peuvent donner matière ou favoriser des confusions...

Confusions

Dans l’usage et pour une majorité, l’intelligence est parfois réduite à l'aptitude à l'acquisition du savoir, c'est-à-dire d'une connaissance / compréhension (du réel) déjà établie. Mais si en principe cette transmission du savoir fait appel à la compréhension des « choses », dans nos cultures cela se ramène souvent plus à mémoriser qu'à comprendre. Et mémoriser sans comprendre ne requiers pas l’intelligence.
Également, de la capacité d’acquérir la connaissance on passe naturellement à l’aptitude au décryptage du langage parlé ou écrit en rapport avec l'« intelligence conceptuelle », puis à l'aisance verbale. Par conséquent, la difficulté à acquérir le savoir, à lire ou à s’exprimer, est ressentie confusément comme un manque d’intelligence (au sens principal).
Or, la difficulté d'acquisition du savoir ne révèle pas nécessairement un manque d'intelligence et peut même parfois être révélatrice d'une intelligence supérieure ; car les discours porteurs du savoir peuvent manquer de clarté et de cohérence, être ponctués de « non-dits », suivre une démarche illogique ou subjective. Et tout cela peut arrêter celles et ceux pour qui l'apprentissage est indissociable de la compréhension. Concernant l'aptitude au langage, la capacité de comprendre passant par celle de raisonner, cela nécessite effectivement de posséder et de maîtriser le langage des mots. Mais des problèmes de langage pouvant être générés par des problèmes psychologiques/émotionnels, ou tout simplement par une possession trop rudimentaire du langage, ne sont pas antinomiques à une aptitude potentielle au raisonnement.

Détournement: l' « intelligence du coeur »

L’intelligence (donc « capacité de compréhension ») qui rejoint la capacité à l'objectivité et fait intervenir l'observation l'analyse et le raisonnement, est amalgamée avec des notions que certains ressentent probablement comme « bonnes », ou « positives » ; sensibilité et qualités artistiques , intuition, mais également aptitude au relationnel , voir aussi « humanité » « qualité de coeur », « capacité à exprimer des sentiments et des émotions ». Ces concepts que l’on associe intuitivement avec celui d'intelligence, et qui ne sont d’ailleurs (pour certains) pas sans rapport (tout comme par exemple le concept de mémoire), sont en train de le remplacer. Par cette démarche, on tend (consciemment / intentionnellement ou non) à dévaloriser l'ancien concept d'intelligence pour valoriser les nouveaux concepts « remplaçants ».

Une des choses qui peuvent mener à cette idée d’ « intelligence émotionnelle » (ou « intelligence du coeur ») , est cette impression fréquente, par exemple, de comprendre la personne que l’on aime. Mais si l'on était capable d’observation suffisemment objective de nous même et/ou des autres dans ces situations , nous remarquerions que si cette part affective qui «affecte» (c’est-à-dire «touche», «influence») l'ensemble de l'être y compris son fonctionnement cérébral, peut donner l'impression que l'on «s'ouvre» à la compréhension de la personne que l'on aime, ce n’est en fait que «projection d'idées positives». Et dans ce cas la perception de la personne ne correspond pas toujours à ce qu'elle est réellement. D'où la désillusion parfois constatée («j'ai perdu mes illusions») de celles et ceux qui se sont illusionné au sujet de personnes ou encore de systèmes de pensée par lesquels ils auraient été séduits (au plan intuitif/affectif).
On peut remarquer plus facilement que notre part affective peut nous pousser à occulter par exemple toute idée ou élément «positif» affairant à quelqu'un, un parti, un système politique que l'on n' « aime » pas.

Tout cela constitue le comportement, le fonctionnement subjectif dans le principe même (« subjectif» étant pris à son sens d'usage(*)). Et la notion même de subjectivité corrobore qu'il n'y a pas compréhension des choses et des êtres (sous-entendu évidemment « tels qu'ils sont »). Par conséquent l’ « intelligence émotionnelle » parait être totalement illusoire.

Également, la constatation que des êtres très intelligents peuvent aussi être des « êtres de coeur » ne provient à mon sens que du fait que celui qui a développé sa capacité de compréhension a plus été motivé par une curiosité quant au fonctionnement des choses (« et » des êtres) que par le jeu des relations humaines. Il est honnête et ne peut être motivé que par une volonté d'objectivité (recherche de vérités). Il est donc exempt de tout machiavélisme, de tout penchant à la manipulation et de tout désir de pouvoir sur les autres, de tout penchant « mauvais » égocentrique…
Dans son livre « Einstein » Michel Paty dit -- à propos du jeune Einstein -- : Il ne se mêlait pas volontiers aux jeux des autres enfants, sinon pour arbitrer leurs disputes à leur demande, signe ( selon ce que rapporte sa sœur avec une tendre ironie) d'une autorité déjà affirmée et reconnue en matière d'objectivité et de sens de la justice. Ce qui confirme goût qu’il avait pour la réflexion, la recherche de la compréhension et de la résolution des problèmes, plus que pour le jeu des relations aux autres.

Il est vrai qu'une relation peut exister dans l'autre sens : Des qualités de coeur allant de pair avec un intérêt porté aux autres et donc avec un désintéressement au plan personnel, peuvent induire la recherche de la compréhension des autres sans prendre part au jeu des relations humaines, sans rechercher la captation de l’attention et de l'intérêt des autres (souci égocentrique)...

L'intelligence, pourquoi est-ce valorisant?

Ce n’est pas sans raison que ce concept possède un caractère « positif ». La capacité de comprendre est valorisée du fait de la nécessité humaine à créer des techniques et des sciences, dans le but de maîtriser la réalité. Par contre la volonté de valorisation des nouveaux concepts remplaçant au détriment du sens d’origine ne répond à mon sens qu'à des désirs subjectifs et non à des nécessités « réelles ». Car ces nouveaux concepts plus en relation avec les qualités artistiques ne sont pas ad hoc pour permettre la compréhension du réel et sa maîtrise. Et il me semble qu’à ce sujet la caricature est aujourd’hui en train de devenir réalité : en effet, que faisons nous pour combattre le sida comme bien d’autres maladies ? On fait état de sentiments humanitaires, on fustige la maladie, et on donne des spectacles, des galas de chansons…
Certes ! Tout cela dit-on, vise à aider la recherche par un apport de moyens. Mais la recherche n’aurait-elle pas plus besoin d'intelligences que de moyens ? L’éducation dispensée me semble plus encourager la mémorisation d'un savoir que l'aptitude au questionnement pertinent, à l'observation et au raisonnement, à la recherche de la compréhension. Et cette tendance fait partie d’un courant idéologique reposant entre autres sur le concept philosophique d’empirisme qui nie ouvertement la nécessité de la compréhension.
Et dans le monde auquel on est en train d’aboutir Einstein ne pourra jamais être autre chose qu'une énigme.

L’intelligence, pourquoi --ou comment-- ?

J'ai pu entendre dire que l'homme ne serait pas « si intelligent qu'on le croit » puisqu'il est le seul parmi les espèces animales à détruire son environnement. Cette idée à mon sens juste, ajoute pourtant à la confusion quant aux sens du mot. En effet : il se trouve que les animaux ancestraux que nous étions ont évolués en êtres humains en développant leur intelligence et leur langage du fait même de leur action sur l'environnement. C'est le fait de la volonté d'agir et de transformer l’environnement qui a provoqué le développement de l'observation et de la réflexion. Mais si cette démarche intelligente a pu aboutir avec le temps, à créer collectivement une société technologique, elle est insuffisante pour comprendre et résoudre la problématique de l'humanité et de maîtriser son fonctionnement ainsi que son action néfaste sur l'environnement...
L’intelligence est un concept connexe de celui de « conscience ». Et l’hypothèse selon laquelle la conscience humaine serait apparue du fait de l’action des êtres sur l’environnement est à mon sens confirmée par le fait aujourd'hui admis que nous descendons directement d'animaux semblables aux chimpanzés actuels (théorie elle-même confirmée par notre proximité génétique avec les singes). Il me parait en effet vraisemblable de penser que c'est leur morphologie les rendant aptes au travail (station debout et membres préhensiles) qui a pu leur permettre, pour leur survie, de réagir à un changement d'environnement (car étant devenu inadaptés au nouvel environnement) en agissant sur cet environnement (au lieu de disparaitre comme toutes les autres éspèces). On peut imaginer que c'est cette nécessité qui amena à observer et à établir des rapprochements et des liens entre les choses; donc à réfléchir... On peut aussi constater aujourd'hui qu'une cuiriosité bien placée quand aux fonctionnement des choses et des êtres amène le développement de la capacité de comprendre.

GG

Haut de page
______________________________________________ ______________________________________________