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Philosophie de la raison
27/09/07 - modifié le 19/11/07

Raisonnement irréel et paradoxe

Dans la réflexion précédente (Bon sens contre mystification) je disais que le bon sens et la logique pouvaient débusquer très simplement des idées aberrantes comme par exemple cette « problématique » de la flèche lancée en direction d’une cible, réplique d'un des « paradoxes » de Zénon d’Elée (1), et qui selon un certain raisonnement serait sensée ne jamais l’atteindre. La démarche consiste à dire qu’à chaque fois que la flèche a parcouru la moitié du chemin à parcourir, il lui en reste une autre moitié à franchir (2) …
J’avais montré comment on pouvait, simplement et sans passer par une démarche mathématique/abstraite, se rendre compte de l'erreur de la démarche de raisonnement.

Mais je me suis rendu compte bien après d’un autre point de vue allant dans la même sens: Si on admet qu'en théorie un projectile ne peut atteindre le point d'arrivée, comment pourrait-on imaginer qu'il puisse en être autrement du point situé au milieu, ou de celui situé au quart du trajet, ou bien encore de n'importe quel point situé sur la trajectoire! Au final, ce raisonnement implique directement que le projectile ne peut atteindre aucun point distinct du point de départ. Il ne peut donc pas bouger ! (3). Et comme il (le raisonnement) repose sur l'idée de déplacement du projectile (il reste toujours la moitié du chemin précédemment parcouru à parcourir -- ou un temps non nul pour parcourir cette moitié restante --) pour aboutir à celle que le déplacement est impossible, il est contradictoire. Globalement, ce (soit-disant) paradoxe repose sur un raisonnement « en trompe-l'oeil » (Bon sens...) pour aboutir à quelque chose d'irréel (le projectile n'atteint jamais le point d'arrivée), ainsi qu'au contraire (l'impossibilité du déplacement) de ce sur quoi il repose (le déplacement)! Nous sommes donc bien ici dans l'absurdité la plus totale! Et il est facile de comprendre qu'en s'appuyant sur un raisonnement « irréel » (ou illogique) on aboutisse à un résultat lui aussi irréel.

Après avoir échangé sur ce sujet avec mon fils (étudiant en physique) je me suis également rendu compte que refuser d'amettre ce paradoxe (ou le résoudre) revenait en fait à ne pas admettre l'infiniment petit (non pas l'« infiniment petit » au sens d'usage de « très très petit », mais d'« indéfiniment toujours plus petit »). Car c'est admettre qu'un nombre relativement peu important (ou « non très grand ») divisé par l'infini (ou « divisé par deux à l'infini » -- ce qui est équivalent), ou encore divisé indéfiniment, finit par être nul donc égal à zéro. Et s’il s’avérait un jour que , comme mon fils le pense, l’infiniment petit (ou l'« indéfiniment toujours plus petit ») est une réalité, alors il y aurait véritablement un paradoxe. Mais dans la mesure où, dans la réalité nous constatons qu'un projectile 1) se déplace 2) atteint et dépasse tous les points de sa trajectoire, un esprit logique ne pourra alors que douter de la véracité de l'hypothèse contredisant la réalité observée, c'est-à-dire ici l'existence de l'infiniment petit (toujours au sens de « toujours plus petit indéfiniment » sans jamais être nul). L'inverse consiste à se complaire dans le mystère et l'irrationnel...
1) Cette « problématique » est inspirée de « Achille et la tortue » et est la réplique presque exacte de « La pierre lancée vers un arbre ». La nuance est que dans le « paradoxe » original c'est le temps mis pour parcourir les distances et le temps restant à passer pour parcourir les distances restant à franchir qui est considéré au lieu des distances elles-mêmes...
Zénon se tient à huit mètres d'un arbre, tenant une pierre. Il lance sa pierre dans la direction de l'arbre. Avant que le caillou puisse atteindre l'arbre, il doit traverser la première moitié des huit mètres. Il faut un certain temps, non nul, à cette pierre pour se déplacer sur cette distance. Ensuite, il lui reste encore quatre mètres à parcourir, dont elle accomplit d'abord la moitié, deux mètres, ce qui lui prend un certain temps. Puis la pierre avance d'un mètre de plus, progresse après d'un demi-mètre et encore d'un quart, et ainsi de suite ad infinitum et à chaque fois avec un temps non nul. Zénon en conclut que la pierre ne pourra frapper l'arbre qu'au bout d'un temps infini, c'est-à-dire jamais.
Wikipedia/ Paradoxes de Zénon/ La pierre lancée vers un arbre

2) À chaque fois que la flèche a parcouru la moitié du chemin à parcourir, il lui en reste une autre moitié à franchir; après avoir parcouru la moitié de la deuxième moitié, il lui reste donc la moitié de cette deuxième moitié -- donc le quart de la totalité --, puis , après avoir parcouru la moitié du dernier quart il restera encore la moitié de celui-ci -- soit encore le huitième de l’ensemble -- etc. etc. Par conséquent le chemin restant à parcourir étant toujours la moitié de « quelque chose » d’à priori non nul, il restera (selon ce raisonnement) TOUJOURS un chemin à parcourir.

3) Plus précisément:
Appelons « A » le point de départ et « B » celui d’arrivée.
Le raisonnement repose sur le fait qu'après avoir parcouru la moitié de la (ou d'une) distance, il lui reste la deuxième moitié à parcourir. Cela suppose donc et qu'il atteint déjà le point « C » situait à mi-parcours. Or et selon ce même raisonnement le point  « C » ne peut être atteint . En effet, après avoir parcouru la moitié de « AC » il lui restera la moitié à parcourir, puis, lorsqu'il aura parcouru la moitié de cette deuxième moitié, il lui restera encore la deuxième moitié de cette deuxième moitié à parcourir etc. etc. etc.
Même chose pour le point « D » situé entre « A » et « C ». Même chose également pour E situé entre A et D, pour F situé entre A et E etc. etc. etc.