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Philosophie de la raison
17/12/07

Séparer la conscience de l’univers des rêves, la pensée de l'émotionnel

Au cours d’un échange et lorsque j'exposais mon idée principale comme quoi le sens de l'évolution humaine devrait nous amener à une dissociation de plus en plus poussée entre notre activité cérébrale, la pensée, et une autre activité et d'ordre plus « végétatif », notre vie émotionnelle (1), quelqu'un dit « c'est schizo». Je savais que la schizophrénie consistait en une perte de contact avec la réalité, mais je regardais attentivement la définition. Tout d'abord l'étymologie : Le mot viendrait du grec «skhizeîn », fendre, et «phrên » « phrênos » pensée. Ensuite la définition dans le TLFI : « Psychose chronique caractérisée par une dissociation de la personnalité, se manifestant principalement par la perte de contact avec le réel, le ralentissement des activités, l'inertie, le repli sur soi, la stéréotypie de la pensée, le refuge dans un monde intérieur imaginaire, plus ou moins délirant, à thèmes érotiques, mégalomanes, mystiques, pseudo-scientifiques » Cette partie de la définition confirme la connaissance approximative que j'avais de ce mot : il s'agit bien d'une perte du contact avec le réel, la pensée devenant alors « séparée » (2), indépendante de cette réalité.
Or ce fonctionnement (schizophrénique) me paraît plus s'apparenter à la démarche d'« abstraction » (où le langage des mots comme la démarche mentale se séparent de la réalité) que d’un fonctionnement humain où la pensée plus indépendante de l’ émotionnel permettrait une plus grande objectivité (3), une meilleure conscience du réel, plus de réalisme, de lucidité, et sans que ce soit précisément au détriment de notre vie émotionnelle, de notre imaginaire de rêve et de notre « côté artistique ». Par ailleurs il semble que la non séparation de la raison et de l’univers des rêves eut été le fait d’états plus primitifs. Ainsi dans l’introduction de « la Mythologie », l'auteur Edith Hamilton dit (à propos des temps reculés ou les grandes mythologies virent le jour) : [...]l'intérêt de ces mythes tiendrait à ce qu'ils nous reportent à un âge où le monde était jeune, où ses habitants entretenaient avec la terre, avec les arbres, les mers, les fleurs et les montagnes des relations dont nous ne connaîtrons jamais nous-mêmes l'équivalent. Il nous est donné à entendre qu'au moment où ces récits légendaires prirent forme, il existait fort peu de distinction entre le réel et le fantastique. L'imagination était vivement éveillée et la raison ne la contrôlait pas ; ainsi était-il loisible à quiconque se promenait dans un bois d'y voir une nymphe fuyant à travers les arbres, et s'il se penchait pour boire sur une source limpide, d'y apercevoir le visage d'une naïade. [...]
Cela confirmerait donc bien que le sens de l’évolution humaine irait vers l’accentuation de la séparation entre la conscience et l’univers des rêves, donc de la pensée et de l’émotionnel.

L’idée sous-jacente au fait de qualifier de « schizo » la séparation de la pensée et de l’émotionnel me semble être un parti pris intuitif pour l’individu « entier », pensant de manière cohérente avec ce qu’il ressent. Et dans le même ordre d’idée, il est excessivement répandu d’attribuer aux perceptions, aux sensations et aux intuitions le pouvoir de bien saisir la réalité. Erreur fondamentale et probablement millénaire qui nous ramène encore une fois à cette problématique de fond imagée par l’allégorie de la caverne
1) si l'univers émotionnel et affectif intervient toujours dans la détermination des opinions, dans la formation ou le choix des idées, cela implique que la vision des choses, la conscience de chacun et de chacune, sera toujours dépendante du caractère, du fonctionnement psychoaffectif des personnes, et non de la réalité considérée seule. Ainsi, suivant que celles-ci seront sympathiques et avenantes, ou « méchantes », douces ou agressives, optimistes ou pessimistes, suivant leur sexe ou encore leur état de santé, la conscience d'une seule et même chose sera différente. Cela revient à dire que plus cet « univers émotionnel » est prépondérant dans la formation ou le choix des idées, plus le regard, le jugement sur les choses et les êtres (le « réel ») est subjectif et partial. Dans un monde composé d'êtres dominés par leurs affects le concept d' « objectivité » sera toujours incongru. Egalement et dans ce cas, la diversité humaine étant infinie, l'entente entre les êtres est obligatoirement illusoire ; chacun interprétant les observations de manière différente, même sans tenir compte de la notion d'intérêt personnel, le monde ne pourra jamais, être autrement que conflictuel. La Planète Raison / Pensée et Emotionnel II
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2) Il ne s’agit pas bien sûr de confondre la pensée avec son objet, la réalité. Mais la pensée pouvant se définir d’une manière très générale comme la représentation mentale de la réalité, elle ne peut être indépendante de cette réalité.
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3) Pris à son sens d’usage de Qualité de ce qui donne une représentation fidèle de la chose observée. (TLFI)
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